Au coeur de la réalité de sols
L'enregistrement Audio de la conférence : http://www.dailymotion.com/video/xh3j4t_vie-ou-mort-des-solsy-de-lydia-et-claude-bourguignon_school. Merci à dijon-ecolo.fr
Jean-Claude GERMON, directeur du laboratoire de microbiologie des sols de l'Inra de 1987 à 1997 et intervenant sur la microflore du sol et son fonctionnement tant auprès d'étudiants que des milieux professionnels réagit :
"Au sujet de la qualité des sols ... Lettre à un ami.
Il s’est tenu jeudi dernier à Quetigny une conférence sur le thème « Vie et Mort des Sols ». Interpellé par un ami sur ma non-participation à cette soirée, j’ai tenu à lui expliquer les raisons de cette absence. Très schématiquement la préservation des sols est une question sérieuse et doit être défendue sérieusement. L’utilisation d’arguments fallacieux pour défendre une cause juste n’est pas le meilleur moyen de la faire progresser. Connaissant les propos tenus par les intervenants et les organisateurs de cette soirée, largement diffusés par les médias, je réagirai seulement sur quelques points.
La préservation des sols est une question cruciale pour l’avenir de la population terrestre qui justifie que l’on se mobilise pour elle. Le sol, c'est-à-dire la couche de terre arable de quelques décimètres d’épaisseur à la surface du globe terrestre, est le support de la production de l’alimentation, de toutes les formes de végétation terrestre, et du maintien de la qualité de l’eau. C’est un bien quasi non renouvelable qui est dégradé par l’activité de l’homme de deux façons principales :
Par la destruction ou la confiscation des sols cultivés ou cultivables pour l’aménagement urbain et les infrastructures de déplacement : l’extension des villes, le développement des réseaux routiers et ferroviaires se font en général dans les régions de plaines au détriment des surfaces agricoles. Il en est ainsi de toutes nos villes... Les pays à fortes densités humaines (Chine, Inde) sont confrontés aujourd’hui à l’insuffisance de surfaces cultivables pour nourrir leurs populations.
L’utilisation minière des sols agricoles pour la production alimentaire ; si l’on ne veille pas à restituer aux sols cultivés leur stock de matière organique et d’éléments prélevés par la nourriture des plantes, les sols s’appauvrissent et deviennent improductifs
La protection des sols est bien une question qui suscite une attention insuffisante de l’opinion et il est intéressant que l’on se mobilise pour elle. La communauté française de science du sol continue à travailler à la mise en place d’une directive européenne pour la protection des sols et s’est exprimée lors du Grenelle de l’environnement sur la nécessité d’une politique de gestion durable des sols au niveau français et européen. Ce projet de directive est actuellement au point mort : il se heurte à la politique libérale des états, dont le nôtre, qui refusent une politique trop contraignante. Il faut avoir à l’esprit que mettre en place une politique de protection des sols, c’est aussi toucher à la gestion du patrimoine immobilier et s’attaquer de front à ceux qui font du sol un support de spéculation financière. Il apparaît indispensable de soutenir tout ce qui est en faveur d’une politique qui tend à faire des sols un outil de travail et de développement plutôt qu’un bien marchand.
Cependant la nécessité de mettre en place une politique de protection des sols doit aussi reposer sur des arguments sérieux. Il n’est pas possible de donner crédit à certains des arguments véhiculés par les intervenants de cette soirée ou par les médias qu’ils utilisent. Ainsi l’argument utilisé pour annoncer cette conférence, indiquant que 90% des sols sont stérilisés par l’usage des fertilisants est un argument faux et dangereux :
Le propos est faux, car comme le sait l’intervenant de cette soirée, la population microbienne reste toujours très abondante : on compte généralement entre 10 et 100 millions de microorganismes par gramme de terre, même lorsque les sols sont mal traités. On peut altérer le fonctionnement de la microflore du sol, mais celle-ci demeure cependant particulièrement robuste.
Le propos est dangereux car il laisse entendre que tout usage de fertilisant est une pratique néfaste. Les jardiniers savent que si l’on ne rapporte pas au sol les éléments qui sont exportés par les plantes, les sols s’appauvrissent et ne produisent plus. On peut assurer ce retour des éléments prélevés, par leur restitution au sol sous forme de produits organiques ; cependant dans de nombreuses situations cela ne suffit pas : il existe des sols naturellement riches et des sols naturellement pauvres : si l’on n’apporte pas aux sols pauvres les éléments qui leur manquent, la production de plantes sera limitée. Si nos agriculteurs n’avaient pas corrigé les insuffisances en phosphates d’une grande partie de nos sols agricoles, nous serions vraisemblablement en état de carence alimentaire dans beaucoup de régions. L’un des éléments clés de la production agricole est l’entretien de la disponibilité des sols en phosphates dont on sait que les réserves mondiales sont limitées. Et l’un des scandales mondiaux actuels est que nous développons une exploitation minière des phosphates à partir de pays en voie de développement, qui eux mêmes ne peuvent les utiliser pour leur agriculture !
Le propos est fallacieux car il ne fait pas de distinction entre le produit (le fertilisant) et la dose à laquelle il est appliqué : il est vrai que si l’usage des fertilisants est nécessaire à l’agriculture, l’usage excessif de fertilisants peut devenir néfaste pour la qualité des produits et pour l’environnement : ainsi les produits azotés sont indispensables pour la production des plantes : mais lorsque les apports dépassent les besoins de ces plantes, les nitrates sont entrainés dans les eaux et vont polluer les nappes ou les cours d’eau, et peuvent être à l’origine de production d’un gaz à effet de serre (le protoxyde d’azote).
L’argument développé par les intervenants de cette soirée dans un film récent de Coline Serrault sur l’absence d’enseignement en microbiologie du sol est faux. Si la microbiologie du sol n’est pas suffisamment enseignée, il existe cependant à travers le monde, et y compris en France un enseignement de microbiologie du sol : avec plusieurs collègues de l’INRA nous développons à l’Université de Dijon un enseignement de microbiologie du sol dans un Master de Microbiologie Appliquée. Les microbiologistes du sol de l’INRA de Dijon ont été à l’origine de travaux sur la contribution de la microflore du sol à la nutrition (biologique) des plantes et à leur protection (biologique), travaux qui sont passés à l’application agricole. Les scientifiques de ce domaine sont certainement trop modestes pour faire connaître ce qu’ils font, mais ils existent !
Un autre point de désaccord avec la communauté organisatrice de la soirée est celui portant sur le recours généralisé à « l’agriculture biologique ». Le niveau de production alimentaire mondiale est actuellement fragile et une faible réduction de production entraîne des spéculations insupportables sur les denrées alimentaires. Il faut une politique de régulation des marchés pour lutter contre ces spéculations, mais il faut aussi un niveau de production suffisant pour dissuader les spéculateurs potentiels. Il faut travailler à la mise en œuvre de méthodes de production qui garantissent une qualité des produits en accord avec la santé et le développement humain, mais c’est une escroquerie intellectuelle de laisser penser que l’on peut satisfaire la demande alimentaire mondiale avec les seules méthodes de "l’agriculture biologique"